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La goélette Belle-Poule

Au gré du vent

Quelques histoires brèves vécues au cours de ces deux ans de commandement. Que ce soit en mer à l'occasion d'une traversée, en escale en France ou à l'étranger ou dans le port de Brest pendant des travaux d'entretien, il est des perles qui marquent la vie du voilier. Elles sont vécues différemment par chacun. Les voici vues par le commandant.

La goélette
L'origine du nom
La grande pêche
Hommage à Eric
La Belle-Poule et l'art
Au gré du vent
En regardant les photos
Guy, le photographe
L'auteur
Bibliographie, liens
Plan du site


Page 1
Histoire d'un virement
Piégé dans les "marmites" de la rade
Prendre un pilote

Page 2
Coup de chien
En escale

Page 3
L'équipage
Soeurs jumelles, soeurs ennemies

jlntourbier@wanadoo.fr














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Histoire d'un virement de bord.

"Paré à virer vent devant!"
"A gauche 30!" - La Belle-Poule vient lentement dans le vent; là-haut le guindant de hunier commence à faseyer.
"Borde grand voile et misaine, file les focs." - Sur la dunette, deux hommes se tiennent prêts à choquer les palans de bastaque de chouque et de pataras de flèche, tandis que deux autres se tiennent prêts à les reprendre sur l'autre bord.
Le hunier porte à contre, le virement est assuré.
"Focs dessous" - La misaine passe, se gonfle lentement et commence à tirer la goélette sur sa nouvelle amure.
"Choque grand voile et misaine", "Change le hunier." - Les deux vergues pivotent sur le mât de misaine en grinçant sur leurs axes.
"Trinquette dessous - Zéro la barre - Comme ça.".

Tout virement de bord sur une goélette est une opération délicate qui ne peut s'écarter d'une chronologie minutieuse déroulée sous l'œil vigilant du chef du quartet nécessite néanmoins l'effort conjugué d'une douzaine d'hommes.
Quand la mer est formée, l'opération se complique encore. Au milieu de la manœuvre le bateau est arrêté par le mer et peut culer. Il faut parfois "rencontrer.", c'est à dire inverser la barre pour assurer le virement en culant !


Piégé dans les "marmites" de la rade de Brest.

Dans les tourbillons du goulet de Brest, la goélette pivote sur elle-même, entraînée par le courant. La brise de Suet est juste suffisante pour gonfler les voiles et faire avancer la Belle-Poule, mais elle est trop faible pour lui faire traverser avec puissance, sans que la carène n'en frémisse, les "marmites" géantes qu'engendre la puissante marée qui vide la rade.

David, le barreur, transpire à faire tourner à toute volée la barre à roue de droite à gauche pour maintenir le cap. Cette barre dont certains n'hésitent pas à parler d'une œuvre d'art à elle seule. Elle est d'origine et porte une plaque de cuivre gravée en rouge du nom d'un des navires français les plus connus et au moins aussi prestigieux que le Foch ou le Clémenceau : "La Belle Poule".

"Et en plus on a un coeff de 100.." conclut le second, c'est fichu ! Et il n'a pas tord, il faudra ce jour là s'aider du moteur pour rentrer à temps à l'Ecole navale.


Prendre un pilote ...

Prendre un "Pilote" d'estuaire ou de port, de rivière ou de canal, c'est s'assurer les services d'un excellent guide, pour le moins en théorie ! Il connaît les lieux et ses dangers, il sait vous indiquer l'existence d'un courant traître ou d'un banc de sable qui ne figure pas sur vos cartes, les caprices du vent compte tenu de la topographie, ...

Grâce à lui toutes les portes s'ouvrent devant vous, au propre comme au figuré ! Celles des écluses bien entendu, mais aussi les ponts qu'ils soient à bascule, tournants ou levants, sur les canaux ou dans les ports.
Vous devenez prioritaire, ou plus exactement je devrais dire, pour reprendre les termes de la réglementation officielle, "privilégié" sur les autres navires qui n'ont pas de pilote.
Les places à quai vous tendent les bras et si vous avez besoin d'un remorqueur, pas de problème : Il connaît son patron et sait lui parler. Vous pensez, c'est un gars du coin ; il sait qu'untel est toujours de mauvaise humeur le matin ou que celui-là est jovial mais un peu brusque lorsque le soir arrive ; et puis, et puis ... il parle la même langue qu'eux, le même patois quand cela est nécessaire !

Un pilote : Un guide, un "Sésame" !

Je me souviens de quelques-uns des pilotes dont nous avons utilisé les services. En Europe les pilotes sont généralement très compétents et professionnels néanmoins chacun à sa particularité, son caractère et il n'est pas toujours facile d'appréhender la confiance qu'on peut lui accorder.

Il y a le "couleur locale".

Comme celui qui nous a été assigné pour remonter le canal qui relie l'Escaut à Bruxelles. Collier de barbe poivre et sel et très fourni, la cinquantaine bien tassée, paraissant vieux avant l'âge, casquette de marin vissée sur le crâne depuis quelques années déjà, visage coupé à la serpe.
C'était un flamand et son Anglais était difficilement compréhensible tant son accent était prononcé. Et quand, bien que flamand il daigna, "pour nous faire honneur" nous parler en Français, nous n'y comprenions plus rien !

C'était un bon guide ... touristique :
- "A droiiiite, laaaa maiiiison ou vécut mon grein pèrrrrre ; à gauche un ancien monastèrrrrre ; Ce pont a été conssssstruit en .... ;
- Eh, pilote ! le pont en question ne s'ouvre pas et nous en sommes proches !
- On nnn'a llllle temps ! Alors, à drrrrroite, vous disais-je ....
"
Et le pont ne s'ouvrit pas, nous dûmes nous arrêter au milieu du canal et patienter en attendant le passage du prochain train !
Il convient de dire que sur ce canal les bateaux ne sont pas prioritaires sur les trains et qu'il est assez judicieux, outre les documents nautiques habituels, de se munir de l'indicateur des chemins de fer.

Il y a le "grincheux".

Vous vous rendez compte, "rester dehors, nez dans le vent et sous la bruine!". Lui qui est habitué aux passerelles couvertes et climatisées des cargos modernes. Et puis "le café est froid ou pas assez sucré, à moins que ce ne soient les deux.... ne peut-on pas aller plus vite, ...quel rafiot qu'un voilier !"
Bien entendu les rapports avec ceux-ci sont toujours tendus mais il faut toutefois les ménager. Car, si un pilote peut être une aide efficace pour résoudre des problèmes avec les autorités portuaires, il peut aussi, si sa mauvaise humeur prend le dessus, nous laisser dans une situation inextricable.

Le "jovial".

Le jovial, lui, veut nous faire rire de tout et de n'importe quoi. Il nous raconte toutes les petites histoires du coin et parfois part d'un fou rire dont lui seul a le secret et en connaît la raison. Bien entendu vous devez aussi jouer le jeu.

Le "Muet".

Celui-ci est resté pendant six heures près de l'homme de barre quand nous remontions l'Escaut et n'a prononcé que neuf mots : "Bonjour, suivez ce navire devant" puis en débarquant "Signez là, au revoir". Il n'en était pas moins professionnel, mais comme nous arrivions à nous dépatouiller seuls pourquoi aurait-il dépensé de la salive pour rien ?

Il y eut aussi le pilote de la Charente que nous avons embarqué à trois reprises pour aller à Rochefort. Ce rouquin arrivait à bord imperturbablement avec une casquette à l'américaine vissée sur le crâne, une chemisette entre-ouverte sur un torse poilu, un bermuda très anglais et des chaussettes montantes, et ce même lorsqu'il ventait et pleuvait.
Sympathique et bavard. Les rapports que nous avons eu avec lui ont toujours été très agréables. Compétent et de bon conseil c'est, il me semble, un excellent pilote.
Il "nous aimait bien" disait-il et s'était débrouillé pour être désigné à la place de son collègue la première fois ; il faut dire que son neveu effectuait son service national à bord de la Belle-Poule !

Il y eut celui d'un grand port de commerce, "heureux et fier d'embarquer pour la première fois sur une goélette de la Marine, lui qui en rêve depuis des années", et pourtant ... en y regardant de plus près, je retrouvais son nom dans les archives de la précédente escale, quatre ans auparavant.

Il ne faut pas oublier les calmes et les excités, les débraillés et les cravatés, les dormeurs et les excentriques ....

Il ne faut pas oublier tout ceux qui ne sont que des ... professionnels et nous ont rendu d'excellents services.

"Prendre un pilote" est quelque fois indispensable, c'est parfois plus rassurant qu'utile, voire même gênant, mais de toute façon c'est toujours toute une aventure.

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