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Quatrième du nom ?
Corsaire ou flibustier ?
La 1ère frégate ...
La 2ème frégate ...
La 3ème frégate ...

Annexes :
Mauvaise rencontre
Retour des cendres
500 ans d'histoire
Caractéristiques comparatives


(1) Les instructions données le 30 juillet 1815 à l'amiral Cockburn, lors du départ de Napoléon pour l'Angleterre, indiquent que le gouvernement anglais avait à cette époque l'intention formelle de s'approprier les restes de Napoléon.
On lit en effet, dans ces instructions, reproduites dans une brochure publiée en 1840 : " Si le général Bonaparte venait à tomber sérieusement malade, l'amiral et le gouverneur nommeraient chacun un médecin qui ait leur confiance ... En cas de décès, l'amiral donnerait des ordres pour que son corps soit transporté en Angleterre ". (Napoléon aux Invalides, volume dédié à tous les Français)















































































(2) Ce vase renfermait le coeur de Napoléon. L'estomac, après l'autopsie, avait été placé dans le second.

(3) Le trois-mâts Indien, capitaine Truquetil, armateur MM. Silvestre et Cie, avait relâché à Sainte-Hélène, dans son voyage de Calcutta au Havre. Le capitaine reçu une des médailles commémorative frappée à cette occasion.

(4) ...seul contre cent fallut-il de défendre
Joinville périra plutôt que de la rendre,
Et dans tourbillon de salpêtre enflammé
Il ira, s'il le faut, l'ensevelir fumante
Au fond de la tombe écumante
Où le Vengeur s'est abîmé ! ...
(Casimir Delavigne,
Messeniennes)




































(5) Quelques temps après, une sorte de cénotaphe à jour, avec inscription commémorative, fut érigé sur la Normandie. Une plaque de cuivre laminé et poli, de 2 mètres 28 sur 70 centimètres, fut placée sur le capot, à l'emplacement des planches qui supportaient le cercueil, elle était entourée d'une balustrade rectangulaire de 50 centimètre, surmontée de cassolettes thuriféraires et ornée de croisillons, avec, en relief, un aigle et un N couronné. Au centre figurait un tumulus antique, ombragé de saules, surmonté de l'épée et du petit chapeau, et encadré d'un morceau d'acajou provenant du cercueil de Sainte-Hélène. Ce monument, dont toutes les parties étaient en cuivre, était recouvert d'une grande croix diagonale de forme bombée ; il avait été exécuté dans les ateliers de MM. Mazeline frères.






















(6) Le retour des cendres de napoléon rencontra en Angleterre l'adhésion de l'opinion publique. Nous en trouvons la preuve dans ce filet du Standard
" On a représenté au théâtre Adelphi, à londres, un petit drame intitulé : Une vision à sainte-Hélène. Il représente la vision d'un soldat gardant le tombeau de Napoléon à sainte-Hélène.
M. Yales a très bien rendu le personnage de l'Empereur par son costume et son maintien. L'intérieur de l'Hôtel des Invalides y est également représenté, ainsi que la cérémonie de réception des cendres. L'arrivée du navire français à sainte-Hélène est ce qu'il y a de plus remarquable. Il y avait foule au théâtre. La pièce a été favorablement accueillie par le public
"


Le retour des cendres de Napoléon (1840)

La troisième Belle-PouleExtrait de " La Basse Seine, sa navigation ",
Louis BRINDEAU, 1908.

Flottez, drapeaux ; tonnez, canons des Invalides !

La nation avait salué avec enthousiasme, après les journées de 1830, le retour des trois couleurs. Toutefois, l'humiliation ressentie après Waterloo pesait encore lourdement sur les cœurs. Les républicains n'étaient point les moins ardents à proclamer la nécessité d'une revanche. D'autre part, si les événements de 1814 et de 1815, n'avaient pu faire disparaître leurs griefs contre l'Empereur, ils les avaient quelque peu atténués. Les merveilles que le génie de Napoléon, secondé par Carnot et tous les patriotes, avait accomplies en 1814, dans la défense du territoire, semblaient avoir effacé les souvenirs du despotisme. En même temps le Napoléon des Cent Jours leur apparaissait avec une physionomie nouvelle : celle du général qui avait abattu le drapeau blanc, chassé l'ancien régime ramené derrière l'invasion et livré la bataille suprême aux vieilles monarchies de l'Europe. Dans des milieux plus éloignés de la politique, on était tenté d'accorder des circonstances atténuantes à l'ambition effrénée de l'Empereur. On la considérait volontiers comme trop souvent provoquée par les intrigues des Coalitions formées pour combattre sans merci, qu'ils se présentassent sous la forme républicaine, dictatoriale ou césarienne, tous les pouvoirs issus de la Révolution française. Les souvenirs de la Terreur Blanche, les odieux traitements infligés au captif de Saint-Hélène avaient encore avivé ces sentiments chez les anciens combattants des guerres de la Révolution et de l'Empire au cœur desquels subsistaient d'implacables rancunes.

Aussi la pacifique monarchie de 1830 était-elle perpétuellement en butte, dans les partis avancés et dans les classes populaires, à des reproches de pusillanimité et même de lâcheté. la lecture des journaux de ce temps révèle, à chaque instant, cet état d'esprit.

Louis-Philippe avait senti la nécessité de donner une satisfaction à l'opinion publique et créé dans ce but le Musée de Versailles, consacré à toutes les gloires de la France (1837). Le Roi décidait trois ans après, d'accord avec l'historien de la révolution, du Consulat et de l'Empire, de compléter cet hommage. C'est pourquoi, au début de l'année 1840, le Ministère présidé par M. Thiers entamait avec Lord Palmerston, Premier ministre anglais, des négociations en vue d'obtenir l'autorisation de transférer à Paris les cendres de Napoléon.

Lord Palmerston accueillit avec bonne grâce la demande du gouvernement français et chargea l'Ambassadeur d'Angleterre d'exprimer à M. Thiers " le plaisir avec lequel il avait accordé cette requête ".

Le ministre anglais ajoutait qu'il voyait là l'effacement des souvenirs irritants du passé.

Cette réponse était, au surplus, en harmonie complète avec les sentiments du peuple anglais. Les procédés brutaux et haineux de Lord Bathurst envers l'homme qui s'était volontairement livré, sur le pont du Bellézophon, à la loyauté et à la générosité de l'Angleterre, les odieuses vexations du gouverneur Hudson Lowe, l'opposition jadis faite à l'embaumement du corps de Napoléon et au transport en Europe de son cœur renfermé dans un vase d'argent, avaient suscité en Angleterre un vif mouvement d'indignation(1). Fiers d'avoir abattu le colosse, les Anglais, en gens pratiques, sentaient que le diminuer dans l'opinion c'était affaiblir leur propre gloire. Ils admiraient d'ailleurs en Napoléon les qualités qu'ils estiment le plus : la volonté, l'énergie, l'audace, la force d'âme dans l'adversité. Ces sentiments s'étaient fréquemment manifestés dans un pays ou chacun a coutume d'exprimer librement sa pensée, sans se soucier de ce qu'en pourra penser le voisin ou même le gouvernement.

Lorsque l'accord, dont les négociations étaient demeurées secrètes, fut intervenu, M. de Remusat, ministre de l'intérieur, monta à la tribune de la chambre, et tout à fait à l'improviste annonça aux représentants " que le Roi avait ordonné au prince de Joinville de se rendre avec sa frégate à Ste-Hélène et de ramener aux Invalides le corps de napoléon ". Il demandait en conséquence le vote d'un crédit de 1 million. L'exposé des motifs du projet de loi était rédigé en termes élevés :
Il faut, disait-il, que cette sépulture auguste soit placée dans un lieu silencieux et sacré où puissent la visiter avec recueillement ceux qui respectent la gloire et le génie, la grandeur et l'infortune ! Il ne faut pas à Napoléon la sépulture ordinaire des rois. Il faut qu'il règne et commande encore dans l'enceinte ou vont se reposer les soldats de la patrie, où iront toujours s'inspirer ceux qui seront appelés à la défendre....

Cette communication fut accueillie avec une profonde émotion et souleva dans le public le plus vif enthousiasme. Elle donna lieu, toutefois, à un incident parlementaire assez singulier. La commission chargée d'examiner le projet de loi adopta une proposition tendant à doubler le crédit demandé par le ministre. Mais ses conclusions combattues par Lamartine, furent rejetées par la chambre qui s'en tint au crédit primitif. Les journaux de l'opposition profitèrent de la circonstance pour accuser de lésinerie le gouvernement et la majorité.

La Belle Poule, alors à Toulon, mit à la voile le 7 juillet et arriva en vue de Jamestown le 8 octobre. L'exhumation fut fixée, d'accord avec le commissaire du gouvernement anglais, au 15 octobre, vingt-cinquième anniversaire de l'arrivée de napoléon dans l'île. L'opération devait commencer à minuit et demi et se poursuivre sans discontinuer.

Les personnes admises à assister à l'exhumation se dirigèrent en conséquence, dans la nuit du 14 au 15 octobre 1840 vers " la vallée du tombeau " ou reposait depuis le mois de mai 1821 le corps de l'Empereur. Une large pierre ombragée de quelques saules, en indiquait l'emplacement. A proximité coulait une source dont la fraîcheur, au milieu de ce climat sec et irritant, avait procuré au malade, dans les derniers jours de sa vie, quelque soulagement. C'est en ce lieu solitaire que se trouvèrent réunis, autour du comte de Rohan-Chabot, commissaire du gouvernement français, les généraux Bertrand et Gourgaud ; MM. de Las-Cazes, Marchand, Arthur Bertrand ; l'abbé Coquereau ; MM; de St-Denis, Novarrez, Pierron, Archimbault, anciens serviteurs de Napoléon ; les capitaines de corvette Guyet, Charner et Govet ; M. le docteur Remy Guillard, chirurgien de la Belle Poule ; enfin le capitaine du génie Alexander, représentant le général Middlemore, gouverneur de l'île. La vallée était gardée par un détachement de soldats anglais. La remise du corps ne devant avoir lieu que sur le quai de Jamestown, le prince de Joinville, par un motif de convenance, avait décidé de l'y attendre, à la tête de son état-major et de son équipage.
Il fallut plus de neuf heures pour extraire la terre du caveau et pour enlever la grande dalle recouvrant le sarcophage intérieur et la partie supérieure de la maçonnerie entourant le cercueil. Des soldats anglais (génie), tête nue, le transportèrent sous une tente où, sur la réquisition de M. Rohan-Chabot, devait avoir lieu la reconnaissance des restes. Le docteur Remy Guillard, médecin de la Belle Poule, avait reçu mission de présider à l'ouverture des cercueils et de constater, dans un procès verbal, l'état du corps.
Le corps était enfermé dans quatre cercueils : le premier en acajou, était légèrement endommagé ; le second en plomb ; le troisième en acajou, et le quatrième en fer blanc, étaient intacts. Ce dernier était tapissé d'un revêtement de satin blanc qui s'était détaché et entourait le corps d'un linceul, adhérant légèrement au crâne et au front.

Voici, d'autre part, la description du corps de Napoléon, consignée dans le rapport officiel du docteur Guillard :
" J'ai soulevé, par une extrémité, le tissu de satin ouaté qui cachait l'intérieur du cercueil, et, le roulant sur lui-même des pieds à la tête, j'ai mis à découvert le corps de Napoléon, que j'ai reconnu aussitôt, tant son corps était bien conservé, tant sa tête avait de vérité et d'expression. Il avait une position aisée : c'était celle qu'on lui avait donnée en le plaçant dans le cercueil : les membres supérieurs étaient allongés, l'avant-bras et la main gauche appuyant sur la cuisse correspondante, les membres inférieurs légèrement fléchis.
La tête, un peu élevée, reposait sur un coussin ; la crâne volumineux, le front haut et large se présentaient couverts de téguments jaunâtres, durs et très adhérents. Tel paraissait aussi le contour des orbites, dont le bord supérieur était garni de sourcils. Sous les paupières se dessinaient les globes oculaires qui avaient perdu peu de chose de leur volume et de leur forme. Les paupières complètement fermées adhéraient aux parties sous-jacentes et se présentaient dures sous la pression des doigts. Quelques cils se voyaient encore à leurs bords libres.
Les os propres du nez et les téguments qui les couvrent étaient bien conservés, les tubes et les ailes seules avaient souffert. Les joues étaient bouffies. Les téguments de cette partie de la face se faisaient remarquer par leur toucher doux, souple et leur couleur blanche ; ceux du menton étaient légèrement bleuâtres. Ils empruntaient cette teinte à la barbe qui semblait avoir poussé après la mort. Quant au menton lui-même il n'offrait point d'altération et conservait encore ce type propre à la figure de Napoléon. Les lèvres amincies étaient écartées, trois dents incisives extrêmement blanches se voyaient sous la lèvre supérieure qui était peu relevée à gauche. Les mains ne laissaient rien à désirer. Nulle part la plus légère altération. Si les articulations avaient perdu leur mouvement, la peau semblait avoir cette couleur particulière qui n'appartient qu'à ce qui a vie. Les doigts portaient des ongles longs, adhérents et très blancs. Les jambes étaient renfermées dans des bottes, mais, par suite de la rupture des fils, les quatre derniers orteils dépassaient de chaque côté. La peau de ces orteils était d'un blanc mat et garnie d'ongles.
La région antérieure du thorax était fortement déprimée dans les parties moyennes ; les parois du ventre dures et affaissées. Les membres paraissaient avoir conservé leur forme sous les vêtements qui les couvraient ; j'ai pressé le bras gauche, il était dur et avait diminué de volume. Quant aux vêtements, ils se présentaient avec leurs couleurs : ainsi, on reconnaissait parfaitement l'uniforme des chasseurs à cheval de la vieille garde, au vert foncé de l'habit, au rouge vif des parements ; le grand cordon de la Légion d'Honneur se dessinait sous le gilet et la culotte blanche cachée en partie par le petit chapeau qui reposait sur les cuisses. les épaulettes, la plaque et les deux décorations attachées sur la poitrine n'avaient plus leur brillant : elles étaient noircies. La couronne d'or de la croix d'officier de la Légion d'Honneur avait seule conservé cet état. Des vases d'argent apparaissaient entre les jambes, un d'eux surmonté d'un aigle s'élevait entre les genoux
(2) ".

Aussitôt ces constatations opérées, c'est à dire au bout de deux minutes, le cercueil de fer blanc fut refermé, afin de soustraire le corps au contact de l'air. Ce cercueil fut lui-même renfermé dans cinq autres caisses : un cercueil en acajou, deux cercueils en plomb, un cercueil d'ébène, un cercueil de chêne.
Le docteur Guillard attribuait l'état de conservation inespéré du corps au bout de dix-neuf ans à l'extrême solidité de la maçonnerie du tombeau et au soin apporté à la soudure des cercueils métalliques.
Le corps, placé sur un char attelé de quatre chevaux, escorté d'un détachement de soldats anglais ayant à leur tête les généraux Middlemore et Churchill et le colonel Trelawney, fut salué de minute en minute, depuis le départ jusqu'à l'arrivée sur le quai, par les canons des forts et l'artillerie de la Belle Poule. Le prince de Joinville, entouré de son état-major et de l'équipage de la frégate, l'attendait sur le quai.
Un service funèbre fut célébré ; à côté des officiers et équipages de la Belle Poule, de la Favorite et de l'Oreste, navires d'escorte, étaient rangés ceux des navires de commerce français mouillés dans ces parages. Parmi eux se trouvait l'Indien, du Havre(3).

La Belle Poule mit à la voile le 18 octobre. Des complications survenues en Egypte menaçant d'amener un conflit entre la France et l'Angleterre, le prince de Joinville avait déclaré " qu'il se laisserait couler bas plutôt que de livrer la cendre dont la garde était confiée à son honneur de marin(4)" .

La frégate arriva à Cherbourg, sans incident, le 30 novembre. Une grande affluence de visiteurs amenés par de nombreux navires partis du Havre, se pressa pendant plusieurs jours, autour du cercueil de Napoléon. Il avait fallu, en effet, différer de quelques jours le transbordement du corps, afin de ne pas être arrêté à Quillebeuf par la morte-eau.
Le gouvernement avait affrété le vapeur Normandie, capitaine Bambine, affecté au service du Havre à Rouen, pour transporter le corps de Cherbourg jusqu'au val de la Haye, en Seine. Ce navire avait reçu, dans l'Arsenal, des aménagements spéciaux à cet effet. Le Rodeur, de la Marine Royale, les vapeurs Courrier et Seine, du port du Havre, avaient été désignés pour convoyer la Normandie et transporter l'escorte. Cette flotte, immobilisée à Cherbourg pendant un nouveau délai par le mauvais temps, prit le large, sous la conduite du prince de Joinville, dans la nuit du 8 au 9 décembre.
Le cortège devant défiler à l'ouvert du port du Havre, les autorités locales, le régiment de ligne, la garde nationale, avaient été convoqués pour le 9 décembre au matin, sur la jetée Nord et la place de Provence.
Malgré l'affreux état des chemins, la garde nationale de Montivilliers, au grand complet, avait marché toute la nuit et arriva au Havre à six heures pour joindre son salut à celui de la garde citoyenne du Havre.
La flottille s'avançant à petite vitesse, fut signalée au large, par les guetteurs de la Tour François 1er, vers 6 heures ½ du matin. Vers 7 heures ½ , la Normandie, pavoisée de drapeaux tricolores, depuis le pont jusqu'à la pomme des mâts, mit le cap sur la Tour. Elle portait à son grand mât un magnifique pavillon tricolore offert par les dames de Sainte-Hélène et confectionné de leurs mains : des galons d'uniforme offerts par des officiers anglais avaient servi à en broder le chiffre.
Le navire gouverna pour passer le plus près possible des jetées : il se présentait alors de trois-quarts par rapport à la terre et le tambour de bâbord dérobait la chapelle ardente à tous les regards. Mais lorsque la Normandie fut arrivée à moins de deux encablures de la jetée nord, le capitaine Bambine le fit lentement revenir sur tribord. C'est alors qu'apparut, sur le gaillard d'arrière, le vaste cercueil recouvert d'une draperie noire à croix blanche et éclairé par des fanaux ardents.

" A ce moment, dit le journal du Havre du 9 décembre 1840, le soleil se levait au-dessus des collines qui ferment le lit de la rivière et faisait pâlir les flammes funéraires ; ses rayons dorés tombaient sur la chapelle ardente d'où semblaient jaillir des milliers d'étincelles. Le cercueil apparaissait comme entouré d'une atmosphère lumineuse d'où s'échappaient en éclairs les reflets de la couronne d'or qui surmontait le drap mortuaire. Napoléon rentrait en France ceint d'une auréole de lumière ou c'était le soleil d'Austerlitz qui saluait le retour du héros!
Ce spectacle laissa dans l'esprit de tous les spectateurs une impression profonde. Autour du cercueil de napoléon, et derrière les drapeaux qui formaient, au-dessus du pont de la Normandie, comme une crinière tricolore, les imaginations émues croyaient voir, comme dans une vision, défiler les héros des guerres de la République et de l'Empire et briller toutes les gloires dont le temps semblait à la fois avoir ravivé l'éclat et adouci les amertumes.

Une salve d'artillerie salua la Normandie à son entrée en Seine. le navire s'arrêta à l'extrémité de l'arrondissement du Havre, en face de Quillebeuf. Du côté de cette ville étaient rangés les gardes nationales de Pont-Audemer, Saint-Aubin, Sainte-Opportune et de toutes les localités jusqu'à Trouville. Sur la rive opposée, la garde nationale de Lillebonnnne et celles des communes voisines présentaient les armes. Pendant cet arrêt, un fait se produisit, qui toucha profondément l'assistance : on vit tout à coup de vieux soldats des guerres de la Révolution et de l'Empire se précipiter dans l'eau jusqu'à mi-corps, malgré l'intensité du froid, pour s'approcher des restes du vainqueur de Rivoli, des Pyramides, de Marengo, d'Iéna et d'Austerlitz.
Le cortège naval continua sa route jusqu'au Val-de-la-Haye(5) et vint mouiller près de l'île située en aval de cette commune.
La Normandie ne pouvant franchir les ponts de Rouen, le prince de Joinville avait choisi, pour le transport du corps jusqu'à Paris, l'un des bateaux à vapeur (Dorades) qui faisaient alors le service entre paris et Rouen. Le cercueil fut transbordé sur la Dorade-N°-3, au bruit des salves de mousqueterie tirées par les gardes nationales de la banlieue de Rouen. Suivant les instructions formelles du prince de Joinville, la Dorade-N°-3 avait été, comme la Normandie, aménagée avec la plus grande simplicité.

"Le bateau, disaient ces instructions, sera peint en noir ; à la tête du mât flottera le pavillon impérial ; sur le pont, à l'avant, reposera le cercueil couvert du poêle funèbre rapporté de Sainte-Hélène ; l'encens fumera ; à la tête, s'élèvera la croix ; le prêtre se tiendra devant l'autel, mon état-major et moi derrière ; les matelots seront en armes ; le canon, tiré à l'arrière, annoncera le bateau portant la dépouille mortelle de l'Empereur. Point d'autre décoration".

Le prince de Joinville avait voulu bannir ainsi les ornements dont l'aspect théâtral eut faussé le caractère et altéré la dignité de la cérémonie.
On avait dû remplacer les navires de mer Seine et Courrier, qui avaient escorté la Normandie jusqu'au val de la Haye, par des bateaux fluviaux : la Parisienne, placée en tête du cortège, était suivie de la Dorade-N°-2, peinte en noir, et portant une partie de l'équipage de la Belle Poule. La marche était fermée par les deux autres Dorades et par trois bateaux des Etoiles.
Le maire de Rouen avait pris un arrêté édictant que la manifestation organisée au passage de l'escadrille dans le port serait à la fois funèbre et triomphale : funèbre, jusqu'à l'absoute donnée, entre les deux ponts, par l'archevêque de Rouen ; triomphale, dés qu'une salve d'artillerie annoncerait la fin de la cérémonie religieuse.

" La décoration, dit le Journal de Rouen, était conçue à la fois dans un style simple et noble. Tout le port, à partir de l'île du Petit-Guay, avait été déblayé de navires et offrait un immense bassin. L'espace compris entre le Pont-Suspendu et le Pont-d'Orléans avait été choisi pour théâtre de la cérémonie proprement dite. Le Pont-Suspendu, par sa construction particulière, offrait tout naturellement comme la charpente d'un arc triomphal. Des deux côtés de l'arche principale avaient été dressés deux arceaux de moindre élévation : le tout était recouvert de tentures violettes parsemées d'abeilles d'or et d'N couronnés, et sur lesquelles se détachaient des aigles de grande dimension, aux ailes déployées. Sous l'arcade principale, étaient suspendues les armes de l'Empereur dans un très grand module ; sous chacune des arcades latérales se balançaient deux renommées dorées".

Sur les deux rives et sur le pont de pierre s'élevaient, de distance en distance, de hauts obélisques revêtus aussi d'étoffes violettes parsemées d'abeilles d'or, et entre les obélisques se dressaient des socles surmontés d'un faisceau de drapeaux tricolores.
Du centre du terre-plein, derrière la statue de Corneille, s'élançait dans les airs un immense drapeau tricolore couronné d'un aigle.
Ce tableau était couronné par les hauteurs de sainte-Catherine, où l'artillerie de la garde nationale avait planté son étendard, et d'où elle faisait retentir le bruit du canon, et d'un autre côté, par la flèche de la cathédrale, terminée par une flamme tricolore dont la base était entourée de drapeaux ".
L'arrêt à Rouen dura une demi-heure, et la cérémonie se déroula au milieu d'une foule immense, accourue de toutes les régions. Une place d'honneur avait été réservée aux vétérans des guerres de la révolution et de l'Empire au milieu du Pont-Suspendu, d'où ils jetèrent des couronnes d'immortelles sur le pont du bateau funéraire.

L'escadrille n'arriva à Courbevoie que le 15. Il gelait à 14 degrés et la Seine charriait des glaçons. Malgré les morsures d'un violent vent de nord-est, une multitude immense, évaluée à 600,000 personnes, se pressaient depuis le quai jusqu'aux Invalides(6) .Le char, traîné par seize chevaux, entouré de marins de la Belle Poule et suivi des vétérans des armées de la République et de l'Empire, revêtus de leurs anciens uniformes, traversa l'Arc de Triomphe. La Garde Nationale formait la haie depuis Neuilly jusqu'aux Invalides et ses drapeaux, surmontés du coq gaulois et de la devise " Liberté ", s'inclinaient devant le cercueil et devant les survivants de l'Epopée. Les souvenirs de ces temps héroïques, demeurés si vivaces chez la plupart des combattants de Juillet, n'avaient-ils point, d'ailleurs, puissamment contribué à la chute de Charles X et à la victoire civique des couleurs nationales.
Il fallut plus de trois heures au cortège pour défiler le long des Champ-Elysées. Quatre mille jeunes gens, massés sur la Place de la Concorde autour d'un drapeau tricolore, le saluèrent du chant de la Marseillaise.
A son arrivée sous le porche du temple, et avant d'être placé sous le cénotaphe entouré de drapeaux d'Austerlitz, le cercueil fut d'abord déposé sur une estrade ; puis le prince de Joinville, après avoir salué de l'épée, adressa ces paroles à Louis-Philippe : " Sire, je vous présente le corps de l'Empereur Napoléon ". Le Roi répondit d'une voie forte : " Je le reçois au nom de la France! ". Puis, prenant des mains du maréchal Soult l'épée rapportée de Ste-Hélène en 1821, il la remit au général Bertrand, compagnon fidèle de l'exilé en ajoutant : " Général, je vous charge de placer sur le cercueil la glorieuse épée de napoléon ".

Le lendemain les journaux publièrent cette strophe improvisée par Victor Hugo pendant le passage du cortège :

Ciel glacé, soleil pur! - Oh! brille dans l'histoire
Du funèbre triomphe impérial flambeau,
Que le peuple à jamais te garde en sa mémoire
Jour beau comme la gloire
Froid comme le tombeau!

Quant aux impression des contemporains, Casimir Delavigne semble les avoir fidèlement traduites dans un de ses chants populaires daté du 15 décembre 1840 :

La Liberté, debout devant ta grande image,
Soldat que la gloire a fait roi,
Te reçoit sous cet arc, impérissable hommage ;
A ton armée offert par toi.
En y mêlant la sienne, elle épure ta gloire ;
Elle en accroît la majesté :
Car s'il nous est permis d'adorer la victoire,
C'est aux pieds de la Liberté !

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