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La goélette Belle-Poule

L'origine du nom

La seconde frégate eut une existence relativement brève au service de la France ; elle se distingua cependant relativement souvent sous les ordres de l'amiral Linois.

La goélette
L'origine du nom
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Corsaire ou flibustier ?
La 1ère frégate ...
La 2ème frégate ...
La 3ème frégate ...

Annexes :
Mauvaise rencontre
Retour des cendres
500 ans d'histoire
Caractéristiques comparatives


(1)Ile Maurice, ancienne Ile de France (La Réunion était à l'époque l'Ile Bourbon).


Le premier combat de la guerre d'Amérique (17 juin 1778) :

Une mauvaise rencontre

Le 15 juin 1778, Chadeau de La Clocheterie quittait Brest sur l'ordre du lieutenant-général d'Orvilliers, commandant l'armée navale de l'Atlantique. Chargée d'une mission de surveillance maritime, il disposait d'un groupe occasionnel composé de sa Belle Poule, de la frégate Licorne, légèrement moins puissante (26 canons de 8, 6 et 4), de l'Hirondelle, corvette de 16 canons de 6, et du lougre de 8 canons le Coureur. Pendant deux jours, la petite division sillonna sans incident l'entrée de la Manche, supportant stoïquement les fastidieuses longueurs de cette croisière de routine.

Mais le matin du mercredi 17 apporta quelque chose de neuf, d'insolite : de hautes mâtures pointant au dessus de l'horizon. Bientôt on en compta une vingtaine.C'était la puissante flotte anglaise de la Manche qui, sous le commandement de l'amiral Keppel, avait quitté ses bases quelques jours plus tôt. M. de La Clocheterie rédigea le lendemain de ce jour mémorable, ce rapport destiné à M. d'Orvilliers :
Carte du combat contre l'Aarethusa
" Mon général,
Les vents de nord qui m'ont fait partir de Brest le 15 de ce mois ont reigné jusqu'à mardy à minuit, très foibles; Ils ont passé alors à O.S.O. et j'ai mis le cap au N.N.E., ce qui me portoit entre le cap Lézard et Plimouth. Mercredy (le 17) à 10 h. du matin, j'ai eu connoissance du haut des mâts de quelques batimens exactement de l'avant à moy. Je les ai signalés sur-le-champ à la Licorne et à l'Hirondelle que j'avois laissé assez loin derrière moy.
A 10 h. ½, j'ai commencé à soupçonner que ce pouvoit être une escadre et j'ai fait signal aux batimens qui me suivoient de tenir le vent, les amures à babord, et je les ay pris moy-même. J'ai compté, peu d'instans après, vingt batimens de guerre, dont quatorze au moins de ligne. J'ai fait signal de virer de bord. J'étois établis au même bord que les Anglois à 11 h. du matin ; ils étoient alors à environ quatre lieues dans le N.E. ¼ N., les vents à O.S.O..
A 1 h. ½ après midy, j'ai doubl la Licorne au vent et j'ai dit à Mr de Belizal que je le laissois le maître de la manoeuvre qu'il jugeroit la plus convenable pour échapper à la poursuite des Anglois, et j'ai fait signal à l'Hirondelle de relâcher ou elle pourroit. Je voyois alors une frégatte et un sloup me joignoient ; j'ai gardé le lougre avec moy. A 6 h., j'ai été joint par le sloup qui porte 10 canons de six. Il m'a hélé en Anglois, je lui ai dit de parler françois. Il a reviré et a été joindre la frégatte.
A 6 h. ½ , cette frégatte est arrivée à portée de mousquet dans ma hanche sous le vent. Le vaisseau de l'escadre le plus près de moy en étoit alors éloigné d'environ 4 lieues. Cette frégatte a cargué sa grand voille ; j'en ai fait autant et j'ai même amené mes peroquets et mis celui de fougue sur le mât afin de ne pas rester dans une position tout-à-fait désavantageuse. La frégatte angloise a manoeuvré comme moy ; alors, j'ai arrivé brusquement elle en a fait autant et nous nous sommes trouvés par le travaers l'un de l'autre, à portée de pistolet. Elle m'a parlé en anglois, j'ai répondu que je n'entendois pas. Alors elle a dit en françois qu'il falloit aller trouver son amiral. Je lui ai répondu que la mission dont j'étois chargé ne me permettoit pas de faire cette routte. Elle m'a répetté qu'il falloit aller trouver l'amiral ; je lui ai dit que je n'en ferois rien. Elle m'a envoyé alors toute sa volée et le combat s'est engagé. Il a duré depuis 6 h. ½ du soir jusqu'à 11 h. ½, toujours à la même portée, par un petit vent qui permettoit à peine de gouverner. Nous courions l'un et l'autre grand largue sur la terre. J'ai lieu de présumer qu'elle étoit réduite alors puisqu'après être arrivé vent arrière, je lui ai donné plus de 50 coups de canon dans sa poupe sans qu'elle ait riposté un seul.
Cette frégatte est de la force de la Fortunée et porte comme elle 28 canons de 12 en batterie.. Il m'a été impossible de poursuivre mon avantage parce que la routte qu'il falloit faire pour cela me menoit au milieu des ennemis. J'ai donc pris le parti de courir à terre sans savoir à quel point je pouvois atteindre. J'ai mouillé très près de terre à minuit et demi. Au jour, je me suis trouvé entourré de roches, à un endroit qu'on appelle Camlouis, près de Plouescat ; j'ignore encore si je pourrai m'en tirer.
Le combat, mon général, a été sanglant : j'ai 57 blessés ; je ne sais pas encore au juste le nombre de morts, mais on croit qu'il passe quarante. Mr. Gain de St-Marsault est du nombre des derniers, Mr. Delaroche-Kerandron, enseigne, a un bras cassé et Mr Bouve t est blessé moins grièvement. Je ne saurais trop louer, mon général, la valeur intrépide et le sens-froid de mes officiers : Mr. le chevalier de cappellis a sçu inspirer toute son audace aux équipages dans la batterie qu'il commandoit ; Mr. de La Roche, blessé après une heure et demie de combat, est venu me faire voir son bras, a été se faire panser et est revenu reprendre son poste.
En général, le combat s'est très bien soutenu jusqu'à la fin. Mrs Mamard et Sbirre, officiers auxiliaires, se sont comporté avec toute la bravoure et le sens-froid qu'on a droit d'attendre des militaires les plus aguerris. Mr. Bouvet, blessé assez grièvement, n'a jamais voulu descendre. Mon équipage est digne de partager la gloire que ce sont acquis mes officiers.

Mr. Grain de St-Marsault a été tué après une heure et demie de combat ; le Roy a perdu l'un de ses meilleurs officiers et je regrette un ami bien cher.

Je crois le Licorne prise ainsi que le lougre, mais je me fltte que l'Hirondelle a échappé aux ennemis.

Deux vaisseaux de guerre anglois sont à deux lieues de moy. Ils paraissent vouloir entreprendre de venir me chercher ; je doutte qu'ils y réussissent parce que je suis fort entouré de roches, mais je n'ai qu'une très foible espérance de sauver la frégatte. Le lieu où je suis n'étant éloigné que de trois lieues du Folgouët, je prends le parti d'y envoyer mes blessés. mon chirurgien-major vous portera cette lettre, mon général ; je l'expédie parce que personne n'est plus propre que lui à leur faire donner tous les secours dont ils ont besoin, et que c'est un exprès sûr.

Deux contusions, l'une à la tête et l'autre à la cuisse, me font souffrir actuellement de manière que je n'ai guerre la force d'écrire plus longtems...

Je suis tout dégrayé, mes mâts ne tiennent à rien, le corps de la frégatte, les voilles, tout en un mot est criblé de coups de canon, et je fais de l'eau.

Je suis avec respect, mon général, votre humble et très obéissant serviteur.

Chadeau de La Clocheterie

A bord de la Belle Poule, le 18 juin 1778.

La gloire des vainqueurs

L'Hirondelle, indemne, avait pu se réfugier à l'île de Batz. Moins heureux, le Coureur, resté fidèle auprès de la Belle Poule, avait dû amener son pavillon après deux heures de combat meurtrier contre le sloop l'Alert, plus puissant et mieux protégé. Quant à la Licorne, elle avait été rejointe et arraisonnée par la frégate Milford. Moins énergique ou plus confiant que son chef de division, le lieutenant de vaisseau Gouzillon de Belizal accepta de se rendre auprès de l'amiral Keppel ; lorsqu'il prit conscience du traquenard dans lequel l'avait attiré la perfidie britannique il était trop tard : entouré par quatre vaisseaux de ligne, il n'eut que le temps de tirer une bordée pour l'honneur avant de capituler.

Mais la capture de ces deux bâtiments pssa inaperçue au milieu de l'enthousiasme prodigieux que souleva dans tout le royaume le combat de la Belle Poule.

Vaines furent les appréhensions de M. de La Clocheterie quant au sort de sa frégate : dès la réception de son rapport, le comte d'Orvilliers lui envoya en toute hâte les meilleurs pilotes de son escadre et cent matelots d'élite, qui aidèrent les survivants de la Belle Poule à ramener celle-ci à Brest au nez et à la barbe des vaisseaux anglais qui la guettaient. A peine avait-elle accosté que le duc de Chartres, cousin du Roi et inspecteur général de la Marine, montait à bord pour féliciter l'état-major et l 'équipage du glorieux bâtiment. Louis XVI, de son côté, ne resta pas en reste de générosité : une semaine plus tard, M. de La Clocheterie était promu capitaine de vaisseau. L'équipage de la frégate reçu également du Roi des promotions, pensions pour les blessés et primes.

Enorme fut le retentissement suscité dans l'opinion publique par cette lutte infernale de cinq heures qui avait vu les blessés réfuser de se laisser évacuer, les canonniers rester accrochés à leurs pièces jusqu'à leur dernier souffle, un soldat de marine ancien garde-chasse abattre 29 anglais de 29 coups de fusil avant d'être lui-même atteint mortellement, et les batteries de l'enseigne de Capellis cracher la bagatelle de 850 projectiles. Coiffure à la Belle-PoulePendant une saison entière, toutes les modes évoquèrent ce fait d'armes ; les dames de la Cour lancèrent ainsi la coiffure " à la Belle Poule " : Une minuscule frégate, toutes voiles déployées, était fixée sur leurs ondulations, couronnant ainsi d'une manière patriotique " des cheveux le moderne édifice ". Au delà des inévitables exagérations, il fallait discerner la fierté de la france, humiliée et vaincue pendant la guerre de Sept Ans, mais voyany enfin sa Marine accepter sans émotion la lutte avec l'Angleterre et remettre en question l'hégémonie maritime d'Albion. Déjà le combat de la Belle Poule portait en germe la victoire d'Ouessant.

Pourtant, la chance ne servit guère les principaux protagoniste de cette mémorable action : les 12 avril 1782, Jean Isaac Chadeau de la Clocheterie tombait, au cours du combat des Saintes, sur la dunette du vaisseau Hercule. En juillet 1780 la vaillante Belle Poule, coulant bas d'eau, s'était rendue au vaisseau anglais Non Such, au terme de trois heures d'un combat héroïque et désespéré qui lui avait coûté 22 morts, dont son commandant, et 39 blessés. L'année précédente, son ancienne rivale, l'Arethusa, chassée par la frégate l'Aigrette, s'était brisée sur l'île Molène.

Mais en 1778, au lendemain du glorieux combat, nul n'aurait osé présager de si tristes destinées. Galvanisées par l'héroisme de La Clocheterie et de son équipage, l'opinion publique du royaume entier exigeait une réponse énergétique à l'arrogance britannique. Le 10 juillet, une lettre de Louis XVI à l'Amiral de France ordonnait l'ouverture officielle des hostilités contre les forces navales anglaises. La guerre d'Amérique, conséquence historique de ce combat singulier, commençait. Ainsi la Belle Poule avait-elle frappé les trois coups du lever de rideau de la grande tragédie qui allait embraser pendant près de cinq années tous les océans du globe.

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